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Du Bourdieu dans le texte

En 1993, au moment où la « fracture sociale » entre dans le débat politique au travers de la montée du chômage et de précarisation de l'emploi, le sociologue Pierre Bourdieu publie « La misère du monde ». Une équipe de vingt- trois sociologues a procédé pendant trois ans à de longs entretiens de tout un éventail social de personnages. Leurs particularités, être exclus (SDF, RMIstes) ou victime d'une misère symbolique, leurs situations sociales faisant qu'ils se ressentent soit exclus (intérimaire, immigrés) soit en position inférieure (petits agriculteurs, femme flic). L'originalité du livre, en plus de donner la parole à des exclus qui d'ordinaire en sont privés, est d'expliquer et de mettre en perspective les entretiens. Construite autour de leurs récits de vie, cette enquête collective veut faire émerger « l'expérience du monde social » que peuvent avoir, chacun à sa manière, tous ceux qui occupent « une position inférieure et obscure à l'intérieur d'un univers prestigieux et privilégié »... La misère sociale qui y apparaît n'est pas forcément (ou pas seulement), selon Bourdieu, une « misère de condition », liée à l'in- suffisance de ressources et à la pauvreté matérielle. Il s'agit plutôt ici d'une « misère de position », dans laquelle les aspirations légitimes de tout individu au bonheur et à l'épanouissement personnel se heurtent sans cesse à des contraintes et des lois qui lui échappent. Les deux entretiens retenus par le Théâtre des Turbulences mettent face à face Madame Meunier, française depuis plusieurs générations, vivant dans un quartier qui ne cesse de se dégrader, et la fille de ses voisins, d'origine algérienne. Les comédiennes évoluent au milieu des spectateurs qui deviennent ainsi parti prenante, témoins, du combat symbolique qu'elles se livrent. On met ainsi en exergue un racisme ordinaire qui s'épanoui sur le terreau du délitement du lien social, de l'abandon des services publics, des processus insidieux de ghettoïsation de certains quartiers. C'est un théâtre de proximité, salutaire, qui permet, comme le disait Bourdieu, de « dévoiler le sens caché des choses ». La pièce se termine par un dialogue avec le public tout aussi éclairant.

Avignon Off Très petite sélection dans l’hypermarché du théâtre

[...]  D’autres, au terme de tournées militantes, viennent chercher l’onction du label Avignon. C’est le cas du très méritoire, très nécessaire Des bêtises de rien du tout donné dans un appartement : théâtre de proximité, dit l’affiche. Et de fait il n’y a là aucun artifice du théâtre : les spectateurs sont assis sur deux rangs de chaises qui se font face, dans la lumière crue de l’après-midi. Entre eux, avec eux, se déroule le drame de l’incompréhension ordinaire entre deux voisines, une "de souche" comme on dit, l’autre issue de l’immigration, comme on dit encore.
Les textes, des interviews compilées par Pierre Bourdieu, sont authentiques. Et cette façon de les servir, yeux dans les yeux, en buvant un thé à la menthe, déstabilise durablement le spectateur. Le Off à son plus économe de moyens. Mais à son meilleur.

Itinéraires singuliers : l'autre, si différent

La sixième édition du festival Itinéraires singuliers a fait halte, ce jeudi soir, à l'espace culturel du Moulin, pour un spectacle proposé par le théâtre des turbulences et intitulé Des bêtises de rien du tout.

L'histoire: Mme Meunier vit dans un pavillon de banlieue. Son enfer, c'est les autres... Elle vit cruellement ces différences de cultures et se sent envahie par ces étrangers. Dans son désarroi, elle est touchante, attarhante et drôle. Malgré toute la volonté qu'elle met à ne pas dire, elle devient la porte-parole d'une pensée commune et raciste qui la submerge. Elle raconte le bruit, les odeurs, qui l'entourent. Sans réelle volonté de dire du mal, elle raconte avec ses mots sa vie quotidienne.

Du côté des Maghrébins, on raconte la vie quotidienne également et on fait partager le thé à la menthe. Mais certains verres restent de côté.

Le texte de ce spectacle est réel. Il est tiré d'interviews réalisées par Abdelmalek Sayad. Sa force vient de cette réalité que l'on peut presque toucher du doigt. Qui a habité dans une cité, retrouve sa vie quotidienne avec des voisins qui ne se rencontrent pas. Sans échanges, chacun vit de son côté en observant les habitudes et les manières de vivre de l'autre. Chacun venant d'univers différents a sa façon de vivre, ses horaires inhabituels, sa religion, ses coutumes. Parfois l'échange se fait, mais parfois on s'évite, on s'épie. Les rancœurs naissent, les « on dit » font qu'un fossé se creuse.

Les deux comédiennes arrivent à faire ressentir profondément les sentiments de chaque côté. Le débat qui a suivi a permis à certaines personnes du public de raconter leur vie de quartier qui s'apparente souvent à des moments du spectacle. 

Ce spectacle a été présenté dans divers lieux du départe- ment. Le festival Itinéraires singuliers, en collaboration avec le centre hospitalier spécialisé de la Chartreuse propose, depuis 1999, ce temps fort à la rencontre du public.

Quand le théâtre se rapproche du public

Pour les avignonnais, on ne présente plus l'association repères, qui c accueille des enfants des quartiers périphériques, et leur ouvre tous les horizons possibles. Cette année, l'association accueille un spectacle du Off dans ses murs. Mais pas n'importe lequel.

Aller vers le public, c'est ce qu'a voulu faire Stella Serfaty en présentant des textes issus de La misère du monde de Pierre Bourdieu. « Quand je suis tombée sur ces textes d'interview, j'ai demandé les droits à Pierre Bourdieu, qui a accepté le projet parce qu'il ne s'agissait pas de jouer dans un théâtre loin des gens concernés. Nous avons eu cette idée de théâtre de proximité, qui consiste à aller à la rencontre de gens qui ne vont pas au théâtre, leur amener les textes, mais aussi la possibilité de débattre, d'amener une ouverture. » Parce que le spectacle n'a pas lieu sans débat à son issue. « Nous tenons à ce qu'il y ait une discussion avec les personnes que nous allons rencontrer » 

C'est d'abord parce que le texte parle de gens qui vivent dans les quartiers populaires, il s'agit même de leur parole. Et cela marche. « Dans les collèges ou nous avons joué, hors les murs, dans les cités de la banlieue parisienne, les débats se font de manière informelle, et les gens participent spontanément, s'expriment. » Au plus près parfois, quand le texte est joué chez des particuliers. À Montereau, on nous a acheté le spectacle pour qu'on aille le jouer chez les gens qui ne venaient pas habituellement au théâtre. Les gens ne payaient pas, mais devaient amener à manger, à boire et inviter les voisins. Le débat était nourri dans tous les sens du terme. Avec ce système, les langues se délient plus facilement, et nous avons eu des réactions intéressantes. »

Déjà plus de cinquante représentations avec un texte qui traite d'un sujet que vivent les spectateurs au quotidien : le rejet de l'autre, la solitude, la proximité dans l'indifférence... Un sujet pourtant largement débattu et rebattu à la té lé, pas toujours de manière positive, mais nous, nous n'avons eu que des réactions relativement bienveillantes par rapport aux propos des personnages. On ouvre des portes, on parle, et les personnes présentes savent dire que « personne n'est parfait. » Les spectateurs du moment entrent dans le spectacle, et sont un peu acteurs aussi d'un débat qui touche de près à leur vie.

Mais Avignon, son public, vont-ils « coller », correspondre à cette initiative de théâtre de proximité ? « C'est aussi pour ça que nous ne jouons pas dans un théâtre, mais que nous nous sommes entendus avec Repères. Nous voulons qu'il y ait ce mélange entre les personnes des quartiers, qui viendront par l'association et le public disons traditionnel » du Off, cela ne peut que permettre le débat. Mohamed Bensalah, président de Repères, se délecte des anecdotes : « les enfants de l'association ont été sollicités pour distribuer les tracts, ils ont eu par fois des mots drôles en parlant de Pierre Bourdieu, qui était tantôt Pierre Bon dieu », ou « un socialiste mort »... Cela correspond avec la démarche que nous avons toute l'année avec eux, de se confronter aux adultes. »

La présence dans le Off est, avant tout une opportunité « Je suis venue en amont, et je crois que si je n'avais pas rencontré l'association Repères, cela ne se serait pas fait », dit encore Stella Serfaty « Nous voulons partager ce spectacle, ça s'est finalement décidé en avril... »

Le spectacle reprend les propos d'une habitante d'un quartier populaire, aux prises avec ses voisins algériens. Le pro- pos toujours sur le fil, éclaire une réalité que tous vivent, mais chacun de leur point de vue. Joué pendant la cam- pagne des présidentielles, les protagonistes ont constaté un glissement de la perception du discours : « La variété du public a été un gage de débat et d'échanges entre personnes très différentes. Le challenge d'être ici, c'est de pouvoir confronter la parole des « théâtreux» avec celle des personnes qui sont directement concernées.»

Pour Mohamed, l'ampleur du projet est encore plus importante: « Nous avons le devoir de préparer les générations futures à vivre ensemble. Et cela suppose d'aider ceux dont le parcours de vie n'a pas permis de recevoir le soutien de la culture à partager. Il s'agit pour eux de rattraper le temps perdu, et c'est intéressant de savoir qu'on peut ainsi débattre, réfléchir et agir. Intéressant aussi de se dire que le public de l'association va amener sa spontanéité, son absence d'états d'âmes et de complexes.

Le théâtre contre l’exclusion

Avec la complicité du théâtre Le Gilgamesh qui a ses propres scènes, nous avons décidé cette année d’ouvrir notre lieu. La pièce Les bêtises de rien du tout… rejoint nos préoccupations et notre éthique", explique Mohamed Bensalah, directeur et co-fondateur de l’association. En 1989, un groupe de jeunes d’origine algérienne, lassés de la ghettoïsation et de l’assistanat, crée une association en se fixant comme objectif de favoriser l’intégration dans la société française des jeunes et des familles issus de l’immigration maghrébine par la mixité sociale, la valorisation de l’individu et l’accès à l’autonomie. Parmi les nombreuses activités sociales, un atelier théâtre est même créé, qui participe à sa manière décalée au festival. Cette année, un pas de plus est franchi puisque l’association entre dans la cour des grands en invitant des professionnels sur un sujet qui rejoint ses préoccupations.
Le thème est en soi tout un programme: Mme Meunier vit dans un modeste pavillon de banlieue. Son enfer, c'est les autres... Elle vit cruellement la différence de cultures et se sent envahie par ces étrangers, dans sa maison, son jardin public, son pays. Son attention est focalisée sur la fille de ses voisins, d'origine algérienne, à laquelle elle voue une haine farouche, certainement parce que, contrairement à elle, avec ses parents, entourés d’amis, d’enfants et de chats, elle vit, tout simplement. Mme Meunier, dans son désarroi, est touchante, attachante et drôle. Malgré toute la volonté qu'elle met à ne pas dire, elle devient dans sa solitude la porte-parole d'une pensée commune et raciste qui la submerge. Déjà jouée au moins cinquante fois dans des MJC, des lycées, des centres sociaux, la pièce est une adaptation par le théâtre des Turbulences, d’une enquête menée par les sociologues (tous deux décédés) Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad. Les comédiennes Nadine Darmon et Stella Serfaty (mise en scène) y sont étonnantes de vérité.

Dans la salle du 1er étage de "Repères", une quarantaine de chaises, dégageant un couloir diagonal accueille le public : dans cette tranchée, la guerre fait rage, entre Mme Meunier, "porte parole d’une pensée commune et raciste qui la submerge", et "la fille des voisins, d’origine algérienne".
Entrecroisements de deux interviews réalisées par Pierre Bourdieu au début des années 1990, seule la juxtaposition en quinconce de ces réalités mises en mots est théâtrale. Même la voix Off finale, de loin la plus apaisante, répète fidèlement les propos tenus par le père de cette famille immigrée. Les spectateurs doivent choisir entre la signature d’une pétition ou un thé à la menthe. Spontanément, des réactions personnelles se répondent et déclinent cette chronique du racisme ordinaire. Entre ceux qui n’en n’ont plus et ceux qui n’en ont jamais eu, l’association "Repères" n’a jamais aussi bien porté son nom…

Une question de principes

Le Off réserve encore de bonnes surprises, comme ce spectacle qui se joue dans les locaux de l’association Repères. La salle de réunion ne possède aucun équipement particulier en matière de lumière ou de son. Avec ses fenêtres sur la rue et ses chaises disposées de part et d’autre d’un couloir qui prend la diagonale de la pièce, l’endroit ne paye pas vraiment de mine. Et pourtant, il se passe là, tous les jours, quelque chose qui est de l’ordre de l’essence du théâtre.
À partir de trois entretiens tirés de la Misère du monde, le livre du sociologue Pierre Bourdieu, se développe sous nos yeux une haine implacable entre deux femmes, deux voisines gagnées par l’incompréhension.
Le personnage de Mme Meunier, joué par Nadine Darmon, explique, sur un ton de sincérité et de gentillesse troublant, ses difficultés à vivre dans ce quartier, qu’elle croyait résidentiel. Elle s’en prend aux agences immobilières, qui lui ont fait croire que le quartier serait tranquille. Elle regrette le facteur qui ne passe plus ou de façon irrégulière. Et puis, tout tranquillement, elle nous raconte qu’elle n’est pas raciste, mais que les nouveaux résidants sont insupportables. Les spectateurs se crispent progressivement en entendant ce discours, qui leur rappelle quelque chose. Le dispositif, qui met les spectateurs les uns en face des autres, prend alors tout son sens. Des regards complices s’échangent. Certains sourient en voyant les mâchoires crispées de leur voisin d’en face. Une sorte de fraternité sous l’orage se crée.
En face de Mme Meunier, l’autre personnage, une jeune Maghrébine déterminée, nous gratifie de répliques sans appel : "On partira pas", "On est français". Et la guerre prend de l’ampleur, stupide comme toutes les guerres. Tout devient une question de principes entre ces deux femmes qui s’opposent.
Le débat qui suit la pièce fait apparaître quelques divergences d’opinion au sein du public. Les spécialistes du livre de Bourdieu considèrent que la pièce est réductrice par rapport à l’ouvrage. D’autres spectateurs, comme moi, n’ont pas été choqués par l’utilisation de ces seuls trois entretiens dans leur quasi-intégralité. D’autres encore, pour finir, trouvent la pièce brutale. Il me semble que c’est la réalité qui l’est. Il serait injuste de passer sous silence le très joli travail des deux actrices. Nadine Darmon, notamment, nous gratifie d’une interprétation troublante de sincérité et de candeur. Sa partenaire, Stella Serfaty, vive et lumineuse, signe également une mise en scène sobre et efficace.

La compagnie "Turbulences" nous accueille au premier étage d’une maison située au 10 rue du Râteau à Avignon. Nous pénétrons dans l’appartement de Mme Meunier où nous attendent des chaises. Mme Meunier fait ses carreaux et s’adresse à nous comme à des voisins. Elle nous dit que le quartier change, les traditions se perdent, l’immigration (le mot finit par être lâché) s’installe. "Ils font du bruit ces gens là". "Ils sont nombreux". "Ils ne communiquent pas". Elle se sent incomprise et seule. Le racisme l’envahit. Puis, apparaît la fille de la famille algérienne qui habite de l’autre côté du mur mitoyen qui les sépare. Elle nous raconte pourquoi elle se sent rejetée, elle qui vit sans vouloir de mal à personne. C’est le choc des cultures. Ce témoignage est touchant, drôle et attachant. Comme tout bon sociologue, Bourdieu ne donne pas de clés. Après la représentation, nous sommes invités à débattre entre spectateurs et comédiens autour d’un thé à la menthe. De ces discussions naissent de belles réflexions, qui laissent espérer que l’ouverture à l’autre et la volonté de se comprendre ne sont pas de vains mots

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